L'AGRIMENSORE, LE GÉOMÈTRE ROMAIN DE L'ANTIQUITÉ.
Les agrimensores, "mesureurs de terre", étaient les arpenteurs agraires de la Rome antique. Mais ils ne sont pas contentés de mesurer la terre : ils l'ont délimitée avec une logique et une précision jamais atteintes. L'arpenteur est également, chargé d'assigner des terres d'État.
Les arpenteurs étaient très demandés leur importance augmenta avec leur emploi croissant comme juges ou arbitres dans les affaires de litige foncier.
Il est chargé de se prononcer sur un litige de bornage concret, pour être fin à de veines querelles. Il explique ses constats, met son savoir à l'épreuve, règles les litiges, il prend des zones rurales à certains pour les donner à d'autres. Ses administrateurs étaient méticuleux : la terre fut mesurée avec exactitude, assignée avec justesse et relevée de façon complète et durable.
Il peut être militaire ou civil, citoyens libres pour les deux cas, mais aussi un affranchi ou un esclave dans le civil, notamment sous l'empire.
Les mensores civils finirent par s'organiser en guildes, collegia. Les rémunérations, qui comptaient comme honoraires plutôt que comme salaire ou gages, devenaient moins aléatoires et se rattachaient davantage à celles des professeurs de mathématiques et autres professionnels de la sorte.
L'arpentage civil et militaire étaient séparées, et l'arpentage civil lui-même était divisé en secteurs spécialisés, agraire et urbain, mais tout allait de pair en de nombreuses occasions. Les hommes jeunes étaient plutôt enrôlés comme arpenteurs militaires, puis, forts de cette expérience, se tournaient vers l'arpentage civil. Et, comme celui-ci impliquait l'établissement de vétérans, qui pouvait mieux qu'un vétéran rengagé pour mesurer et enregistrer leur terre ?
Ci-dessus l'agrimensore de la légion XXX Ulpia Victrix.
La formation des arpenteurs faisait la part belle à l'étude de la terre et de l'univers, l'empire mit en place une formation régulière d'arpenteurs. Elle comprenait la cosmologie et l'astronomie, la géométrie des surfaces, l'orientation, la visée et le nivellement, la connaissance du droit agraire et du statut des différents types de terres, ainsi que les techniques de centuriation limitatio, de bornage, d'assignation de terre, de cartographie et de relevé. La formation des arpenteurs militaires et celle des architectes semblent avoir été distinctes.
Seul le droit romain faisait l'objet, en Italie, d'un enseignement régulier et solide, susceptible d'être très utile au futur arpenteur, pour des domaines voisins de ce métier. En fait, comme les agrimensores arbitraient de plus en plus de problèmes fonciers, ils avaient besoin d'un acquis juridique plus vaste. Cependant, l'arpenteur n'avait à connaître à fond que deux des nombreux domaines couverts par le droit romain. L'un était le recueil de lois régissant la classification des terres, et l'autre concernait le bornage et les litiges afférents. D'autres aspects, telle la loi sur l'héritage ou la procédure de restitution, pouvaient très bien s'y rattacher indirectement.
L'arpentage était manifestement considéré, étant donné ses anciens liens avec l'augure, comme une des artes liberales (Les sept arts libéraux, désignent toute la matière de l'enseignement des écoles de l'Antiquité. Ils se divisent en deux degrés : le Trivium et le Quadrivium. Le Trivium concerne le pouvoir de la langue et se divise en grammaire, dialectique et rhétorique. Le Quadrivium se rapporte au pouvoir des nombres et se compose de l'arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l'astronomie.
Un arpenteur romain devait étudier des mathématiques concrètes pour savoir mesurer les distances et les superficies, orienter ses relevés et procéder à tous calculs requis par le gouvernement ou les autorités locales à propos de la fiscalité, par exemple. Mais, comme l'arpentage était classé dans les "arts libéraux", l'arpenteur recevait aussi une instruction mathématique plus théorique.
Stèle funéraire d’un agrimensore retrouvée à Lurea (val d’Aost).
La groma est démontée et on aperçoit, vu de dessus, les rigores
(réglettes croisées à angle droit et servant de support aux fils à plomb).
À la ville comme à la campagne, dans l'usage civil autant que militaire, la mesure de base était le pied romain pes. Le pied romain normal était de 29.57 cm. Pour mesurer les édifices et les distances, dans les villes, on n'utilisait normalement que le pied. Les arpenteurs militaires s'adaptaient aux coutumes légionnaires, qui comptaient largement en pas passus. Le passus était en fait un double pas, pied droit à pied droit, puis il équivalait à 5 pieds romains. Pour les distances plus longues, on employait le mille, de mille passus, 1000 pas, ce qui donne 5000 pieds au mille. La principale mesure de longueur utilisée par les agrimensore romains pour les parcelles était l'actus de 120 pieds romains. Au pied standard, cela donne une longueur de 35.48 m.
Les principales mesures de superficie utilisées par les arpenteurs étaient :
- Digitus = 1.848 cm
- Palmus = 7.392 cm
- Pes = 29.57 cm
- Palmipes = 36.96 cm
- Cubitus = 44.355 cm
- Gradus = 73.925 cm
- Passus = 1.478 m
- Actus = 35.48 m
- Mille passus = 1478.50 m
- 1 Actus2 = 0.126 ha
- 1 Iugerum = 0.252 ha
- 1 Heredium = 0.504 ha
- 1 Centuria = 50.4 ha
Les deux mesures de superficie les plus courantes dans l'arpentage romain étaient le iugerum, soit 1/4 d'ha et la centuria, contenant à peu près 50.4 ha. La centurie de 50.4 iugera avait des côtés de 10 actus formant un carré ; toutes les autres étaient rectangulaires.
L'arpenteur chargé d'assigner des terres d'état choisissait un point de départ, puis alignait un limes ou ligne de division, dans chacune des quatre directions prévues, correspondant souvent aux quatre points cardinaux. Les carrés ainsi délimités, dont les côtés faisaient généralement 2400 pieds romains(705-710 m), puis la surface 200 iugera (env. 50.4ha), s'appelaient centuria, centuries.
Cette division de la terre en centuries est connue sous le nom de centuriation et s'est spécialement appliquée aux colonies, établissements de petits propriétaires avec terres assignées. Nous pouvons rechercher une origine militaire à cette pratique. On considérait les colonies comme des établissements agricoles, mais en même temps comme les remparts de la défense romaine. On pensait donc que, si les colons étaient regroupés en unités adéquates, ils répondraient mieux à ces besoins militaires.
Les romains étaient un peuple pratique et méthodique. Pour arpenter la terre, ils utilisaient un instrument appelé groma, croix montée sur une console qui s'emboitait sur un pied. Elle était essentiellement conçue pour arpenter les lignes et les angles droits, puis c'est pourquoi les divisions agraires romaines sont systématiquement faites de carrés ou de rectangle.
La première ligne visée avec la groma, ensuite tracée, était le decumanus maximus. C'était la voie la plus large : Dans le cas des colonies augustéennes pour vétérans, sa largeur était de 40 pieds. Ensuite, le kardo maximus, de 20 pieds de large, était visé et tracé perpendiculairement.
Il était essentiel à l'arpenteur de trouver ses repères sur le terrain. Même un augure, s'il était assez scrupuleux, aimait s'assurer qu'il faisait face à la bonne direction. La centuriation était orientée soit exactement ou approximativement à partir des points cardinaux, soit à partir de routes existantes, soit, comme en Dalmatie, à partir de faits géographiques. De nombreux agrimensores débutaient comme arpenteurs militaires et l'orientation aux points cardinaux était usuelle dans les campements.
Un arpenteur militaire utilisant la Groma,
reproduction basée sur une découverte dans l'atelier
de l'arpenteur Verus à Pompéi.
SOURCES : Les arpenteurs de la Rome antique. Oswald A. W. DILKE. Éditions APDCA.